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Shirley Williams et son désir ardent de défendre la langue et la culture anishinaabemowin-ojibwé


                        Shirley Williams


Shirley Williams avait à peine 7 ans quand un prêtre et un agent des Indiens se sont présentés à la maison familiale pour la placer dans un pensionnat. Son père s’y est opposé, déclarant qu’il avait l’intention d’éduquer Shirley à la maison et a même promis de lui enseigner le catéchisme. Par miracle, ils ont accepté. Il n’avait toutefois pas précisé dans quelle langue il allait éduquer sa fille et procéda à lui enseigner la langue et la culture anishinaabe. Au cours des trois années qui suivirent, le père de Shirley a concentré son enseignement sur le mode de vie, la langue et la culture de leur peuple, ainsi que sur les arbres, la médecine traditionnelle autochtone et les plantes. C’est ainsi qu’avant d’être placée au pensionnat à l’âge de 10 ans, le père de Shirley réussit à implanter chez elle le désir ardent de défendre la langue et la culture anishinaabemowin-ojibwé.


Shirley Williams siège au conseil consultatif du COPA formé d’Aîné.e.s et de Chefs des Premières Nations, métis et inuits. Elle est une ressource précieuse avec qui le COPA a le privilège de travailler au cours des dernières années. Le COPA a bénéficié de son savoir, de sa sagesse et de ses connaissances linguistiques lorsqu’il a créé ses ressources sur le bien-être des élèves, des familles et des collectivités autochtones En cercle, ensemble et En cercle, en classe. Elle a également traduit les contes du COPA en anishinaabemowin-ojibwé.


Première réunion du conseil consultatif du COPA (le projet Le cercle s'élargit) : Mohini Athia (COPA), Nicole Parsons, Deb St. Amant et Shirley. Absente: Jeanne Herbert


Nous nous sommes entretenus récemment avec Shirley pour lui parler de sa passion et de son engagement hors du commun.


Shirley a grandi sur les territoires non cédés de la réserve non cédée de Wikwemikong, sur l’île de Manitoulin. Lorsque son père s’est rendu compte que ses autres enfants revenaient des pensionnats en ne parlant que l’anglais, il dit à la mère de Shirley qu’il avait l’intention garder une de leurs filles à la maison afin de lui transmettre la langue, la culture et le savoir de leur peuple. Après avoir convaincu le prêtre et l’agent des Indiens de retarder à tout le moins son entrée au pensionnat, il s’est dévoué corps et âme à lui enseigner les coutumes de son peuple. Dès l’âge de sept ans, Shirley savait qu’elle devait d’apprendre tout ce qu’elle pouvait. Elle se rappelle que les Aîné.e.s lui disaient : « Écoute attentivement ma fille, autrement comment vas-tu savoir quoi dire quand on t’offrira du tabac? Tu ne comprends peut-être pas pourquoi je te dis cela aujourd’hui, mais un jour tu comprendras! » Le livre qu’elle est en train d’écrire en anglais et en ojibwé et qu’elle a presque terminé est basé sur cette période de sa vie. Il contient 21 chapitres dans lesquels elle raconte ses souvenirs d’enfance, y compris des récits sur la chasse et la cueillette, la pêche et le piégeage. Shirley déclare : « Je me suis rendu compte qu’à cause de notre mode de vie contemporain, les gens ont soif d’en savoir plus sur la façon dont nous vivions autrefois. Ils ont besoin de renouer avec le passé. » Chaque fois qu’ils ne connaissaient pas la réponse, ses nièces et neveux et tous les enfants de sa famille disaient : « Demande à tante Shirley ». C’est pourquoi elle a décidé d’écrire ce livre, le dernier d’une collection impressionnante. Elle l’écrit pour que les enfants, leur famille et les collectivités puissent en apprendre davantage sur leur langue et leur culture.



Shirley a quitté le pensionnat à 16 ans, non pas parce que le désir d’apprendre lui manquait, mais parce qu’on y traitait pas bien les enfants. « J’ai toujours su que je retournerais à l’école un jour », et c’est ce qu’elle a fait de façon intermittente, un cours à la fois tout en élevant ses enfants.


Elle a fini par s’inscrire à un programme d’études autochtones à l’université. Cela faisait longtemps qu’elle y pensait. Elle voulait en savoir plus sur elle-même et son peuple. Elle a également consacré des études à l’écriture et à l’enseignement des langues à l’Université Lakehead. Elle a d’ailleurs enseigné à l’école d’été de cette université pendant 18 saisons. Un grand nombre de jeunes lui disaient : « Je n’ai pas besoin d’apprendre la langue, je suis déjà autochtone. » C’est ce que disaient aussi les personnes qui avaient fréquenté les pensionnats. C’est en nous refusant le droit d’apprendre notre langue qu’elles en sont venues à penser de cette façon. Tous les membres du corps professoral qui enseignent les langues autochtones à l’Université Lakehead ont entendu ce genre de commentaire. C’est pourquoi ils ont décidé de renverser la vapeur et de faire de l’apprentissage de la langue quelque chose de positif. Nous nous sommes posé la question : Pourquoi tenons-nous à enseigner notre langue et notre culture? C’est parce qu’elles sont le reflet de notre identité. Il est dit que le Créateur remit à chaque peuple, sa langue. Lorsque nous quittons ce monde, le Créateur nous demande notre nom dans notre langue maternelle, et nous devons pouvoir répondre. Il est important de prendre soin de sa langue et de la préserver — elle est au cœur de notre identité.


La préservation de la langue de son peuple constitue une véritable passion pour Shirley. Lorsqu’elle a commencé à enseigner, c’était « pour se réapproprier ce qui nous avait été retiré, et pour neutraliser ce qui nous avait été fait ». Les religieuses dans les pensionnats avaient dit que les enfants n’utiliseraient et n’enseigneraient jamais leur langue. Et c’est ce que les enfants disaient aussi. Shirley savait à quel point il était important de changer la situation.


Les membres du corps professoral de l’Université Lakehead se sont rendus dans leur collectivité d’origine respective et ont fait de la recherche avec les étudiant.e.s pour en savoir plus sur ce que disaient les gens et pour demander aux élèves dans les écoles pourquoi elles et ils devraient apprendre la langue. Ils ont posé la même question aux Aîné.e.s qui ont répondu : Avez-vous demandé aux enfants QUELLES CHOSES elles et ils voulaient apprendre? La réponse étant non, elles et ils sont retournés dans les collectivités pour le demander.



Alors qu’ils faisaient leur tournée des collectivités, Shirley se rappelle en particulier du petit garçon qui a levé la main et a dit : « J’aimerais apprendre la langue du hockey. Je fais partie d’une équipe qui perd tout le temps. Si je connaissais la langue, nous pourrions la parler entre nous et gagner! » Shirley — qui a élevé deux garçons qui ont joué au hockey en plus d’être la tante de hockeyeurs — a trouvé que c’était une bonne réponse!


Elle a donc décidé d’aller de l’avant et de traduire le vocabulaire du hockey en ojibwé. Pendant six ans, elle a assisté à des joutes de hockey tout autour de la province et a écouté les joueurs qui parlaient couramment la langue pour découvrir leur histoire. C’est ainsi qu’est né son CD sur le hockey.


C’était un projet d’envergure. Certains mots n’existaient même pas — aréna, par exemple. Pour trouver le mot juste, elle a dû commencer par étudier les couleurs, les formes et le contenu d’un aréna. Elle a fait de même pour l’équipement, les vêtements, les numéros, la nourriture et les arbitres. Il n’y avait pas de mot pour suspensoir non plus. Étant donné qu’elle savait que son lexique serait utilisé dans les écoles et qu’aucun terme dérogatoire ne serait accepté, elle s’est efforcée de trouver les mots justes et appropriés. Elle a dû ensuite traduire les valeurs et les règles du hockey. Pour ce faire, elle a interviewé des joueurs de la LNH afin de comprendre leurs valeurs.


Shirley dit qu’ils ont décidé présenter le projet aux enfants sous forme de CD. Elle a loué un aréna et a filmé les enfants qui jouaient au hockey pour se faire connaître, mais aussi pour l’aider à faire son CD. Ce CD est aujourd’hui utilisé dans les écoles. Même quand elles ou ils n’ont pas recours à son contenu pour enseigner, les membres du personnel enseignant le font visionner par les enfants en guise de récompense lorsqu’elles et ils ont fini leur leçon.


Shirley enseigne l’ojibwé depuis bon nombre d’années et ajoute : « Nos Aîné.e.s nous disent que l’éducation devrait être synonyme de plaisir, et que d’apprendre une langue doit être amusant. C’est donc ce que j’essaie de faire. À l’université, j’ai enseigné la langue en ayant recours à des jeux, à des chansons et aux différents caractères et sons. Nous chantons des chansons sur l’alphabet en langue anishinaabe. En fait, des dames plus âgées d’origine anishinaabe ont écrit une chanson sur l’alphabet que nous utilisons toujours aujourd’hui. Les membres du corps professoral se sont parfois demandé si nous ENSEIGNIONS vraiment la langue en ayant recours à des chants et à des activités amusantes. Dans une classe d’immersion d’été, nous avons joué à un jeu de devinettes en mimant l’objet, par exemple : ‘ J’ai un.e … ’ et l’enfant devait deviner de quoi il s’agissait. Les enfants ont adoré ce jeu. »


À part de rendre l’apprentissage de la langue amusant, Shirley tenait à ce que la langue écrite et les histoires soient belles. Et cela se reflète dans ses nombreux livres pour les enfants, notamment : Aandeg, The Crow et Gii-bi-gaachiiyaanh : When I was a Child. Elle a écrit des textes qui sont utilisés pour enseigner l’ojibwé dans les écoles et les universités. Elle a également créé des livres de mots croisés et d’anagrammes contenant des jeux de mots pour rendre l’apprentissage amusant. Cette linguiste passionnée et incontournable et cette écrivaine prolifique travaille sans relâche pour rendre la langue ojibwé accessible à toutes et à tous et pour graver son enseignement dans la culture anishinaabe afin d’aider son peuple à renouer avec le savoir et le mode de vie traditionnels. C’est la tâche que lui a confiée son père alors qu’elle était petite.


Bien qu’elle soit aujourd’hui officiellement à la retraite, Shirley affirme: « Je ne veux pas vraiment m’arrêter, car je sais que ce travail est d’une grande importance. » Et c’est pour cette raison qu’elle continue. Elle continue d’enseigner à l’Université Trent, quoiqu’aujourd’hui elle le fasse par l’intermédiaire d’Internet à l’aide d’enregistrements et de PowerPoint. Elle assume également le rôle d’Aînée dans le cadre du programme de doctorat et du département des études autochtones. Elle fait de la traduction lors de réunions politiques et pour les Chefs de l’Ontario, toujours dans l’optique de la langue ET de la culture, étant donné que ces deux réalités sont inséparables pour le peuple Anishinaabe. Elle offre aussi des ateliers et donne des conférences, elle voyage d’un bout à l’autre de la province et ailleurs dans son rôle d’Aînée pour transmettre son savoir et pour renouer et se réapproprier ce qui a été perdu.


Shirley travaille également avec le COPA pour aider à créer des ressources pour les élèves, les familles, les collectivités et le personnel enseignant, parce qu’elle croit non seulement en la valeur de ce travail, mais aussi dans la façon dont le travail est fait. Elle est convaincue que ce que fait le COPA joue un rôle crucial dans la réappropriation de la langue et de la culture des peuples autochtones. Mais tout aussi important pour elle est l’approche de collaboration communautaire adoptée par le COPA, notamment les consultations menées auprès d’Aîné.e.s et de collectivités sur leurs besoins et sur ce qui leur convient.


Selon Shirley, les besoins sont grands et les écarts sont énormes. Il y a beaucoup de travail à faire pour combler ces lacunes. Elle déclare : « Il est crucial que les enseignant.e.s en sachent PLUS sur l’importance de la langue et de la culture ». Elle croit fermement que le travail ne fait que commencer et affirme : « si les responsables du gouvernement pensent réellement ce qu’ils disent au sujet de l’engagement envers le rétablissement des cultures autochtones au Canada, ils doivent alors octroyer les fonds nécessaires pour créer des outils de langue, pour traduire et créer des ressources qui contribueront à redonner ce qui a été pris. » Nous avons besoin d’outils virtuels, de plus de ressources pour le personnel enseignant et de plus de traductions de livres et de matériel en langues autochtones.


À la fin de notre conversation, nous avons demandé à Shirley de nous suggérer un bon livre qui nous permettrait de nous renseigner davantage, de trouver l’inspiration voulue et qui nous inciterait à prendre part aux efforts de réconciliation. À part ses propres livres, Shirley nous a recommandé de consulter le dictionnaire en ligne Odawa & Eastern Ojibwe. Selon elle, ce livre peut servir au personnel enseignant dans les salles de classe et aux élèves pour faire de la recherche et pour apprendre à écrire en ojibwé. Et pour le reste de la population, la magie des mots et la signification du vocabulaire ojibwé, et la façon dont les mots reflètent la culture anishinaabe inspireront les gens à redoubler d’efforts pour comprendre, préserver et rétablir ce qui a été enlevé.

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