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Une entrevue avec Théo



Lors de la présentation de la ressource En cercle, ensemble aux parents du Ottawa Catholic School Board (conseil des écoles catholiques d’Ottawa) par une soirée enneigée de février, l’équipe du COPA a rencontré Théo, une mère autochtone de deux enfants. Par la suite, j’ai eu la chance d’avoir une conversation très intéressante avec elle. Je voulais principalement savoir ce qu’elle pensait de notre ressource, mais agréablement, notre échange a été beaucoup plus varié. Nous avons discuté de nombreux sujets et nous avons parlé de ses idées et de sa riche expérience de vie.


Théo a adopté ses deux enfants, âgés aujourd’hui de 12 et 14 ans, dès leur naissance. Ils sont d’origine crie et sont nés en Saskatchewan. Elle se présente à ce genre de rencontres parce qu’elle sent le besoin de faire la connaissance d’autres parents autochtones. Elle aurait bien aimé que notre réunion et notre période de discussion durent plus longtemps. La plupart des personnes qui font partie de son réseau social sont bispirituelles et bien qu’elles fassent preuve d’ouverture et acceptent les enfants sans problème, la majorité n’en ont pas. Donc, Théo est d’avis qu’en côtoyant d’autres parents autochtones, elle bénéficie d’un soutien et de points de vue différents.


Théo a été bonne d’enfants pendant 15 ans. Selon elle, l’expérience qu’elle a acquise l’aide à reconnaître l’individualité d’une personne et à mieux cerner ses points forts et ses points faibles, surtout à mesure que grandissent les enfants. Elle a aussi travaillé pendant de nombreuses années dans des organismes qui offrent des services d’intervention directe auprès des membres des collectivités autochtones de l’Ontario touchés par le VIH et le sida. Aujourd’hui, elle offre des services d’entraide informels à domicile aux personnes qui ont subi un traumatisme, à ses propres enfants, à leur mère naturelle et à bien d’autres personnes. Les besoins sont criants. Comme elle l’explique, ce sont dans les pensionnats que les gens ont appris à avoir honte. Pour elle, soutenir la guérison des individus et des familles signifie les encourager à retrouver leur chemin vers le cercle et les modes de vie traditionnels où la honte n’avait jamais eu de place et n’en a toujours pas. En raison de sa bispiritualité, Théo a souvent eu le sentiment d’être l’intruse. Aujourd’hui, elle reste intentionnellement à l’extérieur du cercle afin de laisser la place aux personnes qui, selon elle, n’ont pas toujours été la bienvenue et acceptées depuis que la colonisation ait dénaturé le cercle, mais qui ont besoin de faire partie du cercle et ont besoin de la spiritualité qu’elles y retrouvent pour guérir.

Théo est d’origine mohawk et algonquine. Sa mère a été élevée par un vétéran de la guerre du Vietnam non autochtone. Elle est donc issue — comme elle le dit elle-même — de « deux cercles brisés », un cercle autochtone et un non autochtone. Nous avons parlé des nombreuses difficultés à surmonter et du sentiment de déconnexion que l’on ressent lorsqu’on essaie d’élever des enfants tout en ayant à gérer son propre traumatisme. Elle décrit cette expérience de la façon suivante : on connaît les bonnes pratiques parentales, on sait de quoi elles ont l’air, mais élever des enfants sans avoir été bien élevé soi-même, c’est comme essayer de planter un arbre sans racines. Il tombe à tout coup.


Comment arriver à mieux sensibiliser les gens et à leur faire comprendre quelles techniques privilégier pour favoriser l’établissement d’un réseau de racines profondes qui permettront à l’arbre de s’ancrer solidement et aux parents et aux enfants de s’épanouir et de guérir ensemble?


Ce genre de travail est souvent épuisant. C’est ce qui pousse Théo à participer à des rencontres comme celles que nous avons eues ce soir d’hiver à Ottawa – pour parler à d’autres parents et pour trouver le soutien dont elle a besoin. Et c’est pourquoi le COPA a créé la ressource En cercle, ensemble avec la collaboration d’Aîné.e.s des Premières Nations, métis et inuits, de gardien.ne.s du savoir, de chefs ainsi que de membres de diverses collectivités autochtones. Le but est de veiller à ce que les enfants, les familles et les membres des collectivités autochtones puissent vivre dans la sécurité, la force et la liberté en encourageant les échanges et la réflexion sur de nombreux sujets dont, entre autres, la fierté culturelle, aider les enfants à réussir, comprendre l’intimidation et la discrimination et participer à la vie scolaire.


Ce qui a immédiatement plu à Théo dans la ressource En cercle, ensemble c’est la fluidité des genres des personnages de la famille Capsule dans les courts métrages animés. Selon elle, cela facilite la discussion sur ce sujet et sur les enjeux des personnes qui sont aujourd’hui exclues du cercle en raison de leur fluidité de genre. Autrefois, toutes les personnes étaient acceptées dans le cercle. Elles avaient chacune un atout ou un don à partager. Théo a également été ravie de constater que l’Aînée qui joue du tambour est une grand-mère, ce qui témoigne du fait que de plus en plus de femmes autochtones reprennent ce rôle qui avait été découragé depuis la colonisation.


Selon Théo, ce qui fait défaut dans les écoles aujourd’hui, c’est le manque de sensibilisation aux traumatismes que les Autochtones ont subis et continuent de subir et le manque de compréhension plus approfondie de leur culture. Elle est aussi d’avis qu’il est important que les membres du personnel enseignant acceptent le fait que les élèves et les parents autochtones sont les experts en matière de pratiques autochtones et de ne pas hésiter à leur demander conseil, au besoin.


La ressource En cercle, en classe est basée sur la ressource En cercle, ensemble qui a été créée justement dans le but de soutenir les enseignant.e.s. L’objectif est d’échanger idées, inspirations, connaissances, stratégies et conseils pour soutenir les efforts que font les enseignant.e.s pour autochtoniser et décoloniser les salles de classe en leur offrant l’information et les outils visant à favoriser la réussite des élèves autochtones. Il est important que les membres du personnel enseignant en apprennent davantage sur les relations entre les personnes autochtones et non autochtones (et les enseignant.e.s nous disent vouloir en savoir plus), y compris l’histoire, la langue, la violence latérale, les séquelles de l’oppression et plus encore.


Une meilleure compréhension de la façon de savoir et de voir des Autochtones contribuerait à vraiment changer la dynamique d’une situation. À titre d’exemple, prenons le cas d’un.e enseignant.e qui exige que l’élève la ou le regarde droit dans les yeux. Si cet.te enseignant.e savait que dans la culture autochtone il est tout à fait inapproprié de regarder une personne droit dans les yeux, elle ou il comprendrait pourquoi l’élève est si mal à l’aise de le faire.


Bien entendu, Théo est parfois frustrée, voire fatiguée. Elle essaie de gérer son traumatisme en lien avec ses origines et d’élever ses enfants qui ont également un passé difficile. Elle s’affaire à créer sa propre famille et son propre réseau social pour elle et ses enfants tout en soutenant la guérison d’autres personnes — celles de spiritualité diverse, celles qui sont toxicomanes, celles qui vivent avec le VIH ou le sida ou encore celles qui ont été incarcérées. Comme elle le dit si bien, elle était plutôt silencieuse auparavant, mais au fur et à mesure que passe le temps elle s’affirme de plus en plus et est aussi de plus en plus politique. Selon elle, toutes les voix ont le droit d’être entendues — au sein des collectivités autochtones et non autochtones. Nous, au COPA, sommes d’accord avec elle — écouter la voix et le point de vue des autres peut grandement contribuer à changer les choses — pour les autres et pour nous.


Nous aimons demander aux personnes que nous interviewons de nous suggérer un livre. Théo a suggéré One Dad, Two Dads, Brown Dad, Blue Dads, de Johnny Valentine et de Melody Sarecky (en anglais seulement). Elle dit que ses enfants ont aimé le livre et que cela les a aidés à comprendre le racisme et la sexualité à leur stade de développement.


Nous remercions Théo de son honnêteté et de sa sensibilité. Nous la remercions aussi de nous avoir fait part de ses points de vue avec autant d’ouverture et de générosité.

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